Les îles Chausey :Un Eden Naturaliste encore presque intact

Les Iles Chausey sont un archipel méconnu de la Manche,dans la zone de la Baie du Mont Saint Michel qu’elles défendent comme un poste avancé .Elles sont au cœur du système des plus grandes marées d’Europe avec plus de 15 mètres de différence entre haute et basse mer ,les 2e du monde après la Baie d’Hudson au Canada .Formation granitique ,l’archipel compte 52 îles et îlots à marée haute ,autant que de semaines dans l’année ,dont une seule est habitée ,la Grande Ile :tout est relatif ,ses dimensions maximales étant de 1600x 800 mètres !En hiver,moins d’une dizaine d’habitants y résident de façon permanente ,mais il y a beaucoup de résidences secondaires et de gîtes qui ne servent que l’ été .

L’archipel se situe à 18 km de la commune de Granville ,à laquelle elle est administrativement rattachée,soit environ 50 minutes de vedette ,quand la mer est bonne .Au Sud ,la côte bretonne avec Saint- Malo ,Dinard et Cancale ,mais ne dites pas à un chausiais qu’il est breton ,vous risqueriez de finir assez rapidement à la mer…Au Nord ,le plateau des Minquiers ,bien connu des marins du coin pour ses récifs traîtres ,et les Iles Anglo-Normandes de Jersey ,Guernesey ,Aurigny ,Sercq ,Herm et Lihou .Au Sud- Est ,la Baie du Mont- Saint Michel avec les estuaires de la Sélune et de la Sée et la ville d’Avranches .
Le nom de l’archipel rappelle son passé Normand et donc viking :-ey signifie île ,qu’on retrouve encore aujourd’hui en islandais ,lorsque l’Ile de Surtsey ,volcan surgi des eaux sur la dorsale atlantique ,géothermiquement très active ,fut baptisée en l’honneur du thurse (géant )du feu Surtr .Les noms des îles et rochers renvoient à une certaine poésie :les grunes ,l’éléphant ,les moines ,la massue ,la maove (mouette en normand ),le founet (mâle de la fouine dans la même langue ),les perocrets ,les rondes ,le fis-cous (« cous » en normand a un sens un peu leste que je ne donnerai pas ici ),les déchirées ,les huguenans (en souvenir des Huguenots ,protestants persécutés et réfugiés dans ces parages )…

A marée basse ,le paysage change radicalement ,et ce sont 365 îlots qui sont découverts par la mer…occasion pour les pêcheurs à pied d’aller ramasser coques blanches ,coques de Genêts ,praires dans les bancs de sable ,tandis que d’autres récoltent dans les rochers ,huîtres sauvages ,vignots (bigorneaux),ouvets (tourteaux ),crabes à laine (étrilles ),petits poissons de roche ,congres ,lompes ou lottes (baudroies ) échouées …Mais à tout seigneur tout honneur ,c’est au fameux homard de Chausey qu’il faut accorder la palme de la prise la plus recherchée :bleus ,parfois verts à cause de leur logis (dans un vieux canon de bronze) ,ce sont les fleurons des plateaux de fruits de mer .D’autres préfèrent arpenter inlassablement les eaux peu profondes munis de la bichette à cornes,filet spécial permettant la capture de crevettes grises et du bouquet de Chausey ,à la chair ferme et fine ,au goût sans commune mesure avec d’autres crevettes ,que les gourmets placent au-dessus du homard et de la langouste .D’autres vont en mer ou pêchent depuis le rivage congres ,mulets ,maquereaux ,bars et des dizaines d’autres poissons dont les eaux fourmillent .On ramasse ça et là des salicornes ou « pousse-pieds » ,ressemblant à de petites plantes grasses au goût salé ,servant de condiment comme les cornichons après avoir séjourné dans le vinaigre ,ou comme légume après quelques instants à la poêle .
Les eaux bleues et vertes n’ont rien à envier aux plus belles îles des tropiques par leur transparence et leur pureté .Le Gulf Stream amène des eaux relativement chaudes et donne aux îles un climat plus clément que sur la Normandie continentale ,il y fait plus sec et plus chaud en été ,plus doux en hiver .Une faune d’innombrables espèces d’invertébrés marins peuplent ces eaux ,encore peu polluées .Dans des endroits retirés de l’archipel ,certains tentent depuis quelques années l’aventure de la pisciculture de certains coquillages .

Sur la Grande Ile,le contraste est frappant entre la végétation côtière ,relativement sèche et clairsemée ,d’ajoncs épineux ,de gazon sauvage ,de mimosas,et l’intérieur qui ressemble à un bocage normand miniature ,où il n’y a pas si longtemps paissaient encore quelques vaches normandes .De nombreuses « oreilles » font leur terrier sur l’île et laissent des traces de leur passage :ici,on ne dit pas le mot ,ces lagomorphes étant maudits de tous temps par les marins .L’île principale n’a ni routes goudronnées ,ni voitures .Une grande partie de sa superficie est du domaine privé ,mais les propriétaires tolèrent passage et visites ,et permettent l’accès aux plages de sable fin ,bout du monde lorsqu’il n’y a personne et que la vedette ramène en fin d’après-midi les flots de touristes vers Granville ou Saint-Malo .Ici ,très peu de téléphones ,peu ou prou de télévisions ,on est au cœur de la nature ,à son contact direct .Comme en Scandinavie ,chaque visiteur est responsable de ses actes et se doit d’éliminer avec respect toute souillure qui signalerait son passage .Les boues de Chausey ,récoltées en mer à un endroit tenu jalousement secret ,font merveille au centre de thalassothérapie de Granville .

Le passé de Chausey est aussi riche que sa faune et sa flore :on y trouve des traces du même peuple qui a bâti Carnac et Stonehenge durant la préhistoire ;l’archipel fut Romain ,puis lorsque l’Empire déclina ,les saxons et surtout les vikings y trouvèrent un lieu de relâche pour leurs raids . Des ermites et anachorètes vinrent s’y exiler pour méditer ,vivant de longues années de la maigre pitance offerte par les îles ,puis un prieuré dépendant du Mont-Saint-Michel fut créé,au temps de la Normandie ducale et indépendante (1066 -1204) ,prieuré aujourd’hui totalement disparu .Ensuite ,les anglais tentèrent maintes fois de s’emparer de l’archipel depuis Jersey ,entre la guerre de Cent ans et la période Napoléonienne (1348 -1815 ) ;l’ennemi anglais dût se résoudre à le laisser à la France ,après moult faits épiques qui ont laissé les ruines d’un fort au centre de la Grande Ile .Au XIXe siècle ,une foule d’ouvriers carriers vint y extraire son granit gris ,tellement réputé qu’il fut utilisé pour les trottoirs de Paris ,les remparts de Saint-Malo et bien d’autres lieux célèbres .Les carriers côtoyaient les ramasseurs de varech qui le faisaient brûler pour en extraire la soude .Cette période est aujourd’hui révolue ,et plus aucune exploitation industrielle des îles n’est autorisée .Des naturalistes ,tels Milne-Edwards ,vinrent dresser l’inventaire de la faune terrestre et marine au siècle passé .

Chausey est en effet une réserve ornithologique très importante ,on y trouve entre autres les fous de Bassan ,cormorans ,sternes arctiques ,petits pingouins …On peut aussi observer le phoque gris parfois à marée basse ,et au large les bonds des marsouins .
L’herpétofaune n’est pas en reste .Cependant ,malgré l’existence d’une petite source sur la Grande Ile ,il semble que les batraciens en soient totalement absents .
Quatre espèces de sauriens peuplent la grande Ile ,et il est fort probable que la vipère péliade (Vipera berus ) ait élu domicile sur des îles de moindre superficie ,vu le nombre de rongeurs qui y prolifèrent .
Trois lacertidés habitent les îles .L’été ,de nombreux lézards des murailles (Podarcis muralis ) et lézards vivipares (Lacerta vivipara )fusent à travers les petits chemins de terre entre les jambes des visiteurs .Ils sont relativement peu farouches et habitués à la présence pacifique de l’homme ,si ce n’est quelques garnements qui les poursuivent dans l’espoir d’en attraper un ,et finissent avec un bout de queue « vivant » dans la main .L’orvet ,(Anguis fragilis) fréquente le petit coin de bocage au cœur de la Grande Ile ,sa présence est discrète mais de nombreux habitants temporaires en ont dans leurs jardinets en terrasse .Comme ses cousins,cet anguidé se nourrit d’insectes et de petits escargots qu’on trouve en grand nombre sur ces îles vierges de tout pesticide ,herbicide ou fongicide .Mais le plus remarquable des sauriens de l’Ile est le lézard vert (Lacerta viridis ),lacertidé de grande taille puisque certains mâles à la gorge bleue caractéristique atteignent ou dépassent les 50 cm .Il est assez difficile à observer car très farouche et très vif ,il ne serait pas étonnant qu’un occasionnel lapereau complète son régime alimentaire d’arthropodes .C’est une petite population isolée ,vulnérable au moindre changement environnemental ,sans doute formée de quelques couples .
Si un jour vos pas vous conduisent en Normandie ,venez passer la journée à Chausey ,ou mieux la semaine en gîte (rusticité de la vie assurée ) ou dans l’unique hôtel ,en espérant que vous profiterez et que vous respecterez ce fragile écosystème pas encore trop abîmé par l’ homme et que vous ne serez pas de ces hordes de touristes malotrus qui prennent ce que la nature a mis des millions d’années à créer pour un parc de loisirs dédié à notre société industrielle et de consommation de masse .

Vues des Iles

L'herpétofaune chausiaise :

Lacerta viridis

Orvet et autres lacertidés

Merci beaucoup Thorr pour cet aperçu de ce charmant petit coin!

C'est superbe les îles Chausey !

Quand j'y suis allée c'était pour les algues (parce que pour les algues aussi la biodiversité est importante là-bas, et il y a des espèces plus ou moins endémiques), mais on en a vu quelques-uns des Lacerta viridis, très jolis.